Dissolution d’une SCI familiale et perte d’affectio societatis
Conformément aux dispositions de l’article 1844-7 du code civil, la dissolution anticipée d’une société civile peut être prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, « notamment en cas […] de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ».
Sur la base de ces dispositions, il a été jugé à maintes reprises qu’une mésentente entre associés ne peut justifier à elle-seule la dissolution anticipée d’une société civile pour justes motifs (CA Paris, 12 janv. 2016, n°14/24537 ; Cass. com., 17 mars 2015, n°13-14.113 ; Cass. Com., 3 mai 2018, n° 15-23.456).
Encore faut-il que la mésentente entre les associés provoque une paralysie du fonctionnement de la société, autrement dit une paralysie des organes sociaux et de la prise de décisions.
La Cour de cassation a récemment rendu une décision intéressante, qui apporte des précisions utiles à ce sujet. Le webmaster du site Fiscaloo nous en dit plus dans cette tribune.
L’arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 17 novembre 2021
Dans un arrêt en date du 17 novembre 2021 (Cass. 3e civ., 17 nov. 2021, n° 19-13.255 : JurisData n° 2021-018518), la troisième chambre civile de la Cour de cassation a pris le soin d’apporter des précisions essentielles sur l’importance du critère de la paralysie dans le cadre d’une demande en dissolution anticipée, fondée sur les dispositions de l’article 1844-7 du code civil.
Dans la décision attaquée soumise à la censure de la Cour de cassation (Cour d’appel de Toulouse, du 28 novembre 2018), il avait été ordonné la dissolution anticipée d’une SCI pour les divers motifs suivants : l’absence de convocation de l’assemblée générale statutaire de la société depuis plusieurs années, des opérations graves sur le patrimoine social décidées par le seul gérant, l’absence de distribution de revenus à l’associé minoritaire depuis plusieurs années, et l’abus de majorité du gérant qui aurait soumis au vote des résolutions contraires à l’intérêt social.
La Cour d’appel en avait déduit qu’il ne pourrait être considéré en l’espèce que la société, dans laquelle il n’existe plus aucun affectio societatis, fonctionnerait normalement.
Elle a donc prononcé la dissolution de la SCI pour justes motifs.
La Cour de cassation a cassé cet arrêt en jugeant que la Cour d’appel n’avait pas déterminé d’éléments de nature à établir que la mésentente entre les associés paralysait au cas particulier le fonctionnement de la société.
Analyse de cette décision de jurisprudence
Il découle des dispositions de l’article 1844-7, 5e du code civil que la dissolution anticipée d’une société civile peut être obtenue lorsque l’associé demandeur justifie d’un juste motif.
L’article 1844-7 du code civil précise que constitue un juste motif une mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.
Dans l’arrêt rapporté, la mésentente entre associés avait été mise en avant au soutien d’une demande en dissolution anticipée d’une société civile.
Cette mésentente n’était pas contestée par l’associé majoritaire ; celui-ci faisant valoir que la dissolution n’avait pas lieu d’être, faute de paralysie du fonctionnement de la société.
Dans l’arrêt rapporté, les juges du fond avaient recherché et identifié une paralysie du fonctionnement de la société, découlant notamment d’opérations graves sur le patrimoine social décidées par le gérant.
Toutefois, les dysfonctionnements constatés par les juges du fonds ne caractérisaient pas une paralysie du fonctionnement de la société. Les décisions étaient en effet prises par le gérant majoritaire, peu importe le risque d’abus de majorité qui existait en l’espèce.
Cette décision de la Cour de cassation est cohérente et raisonnable.
En effet, sans imposer de constater la paralysie du fonctionnement des organes sociaux, et de la prise de décisions, les dissolutions anticipées de sociétés civiles seraient courantes et nombreuses.
Cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques pour des sociétés bénéficiaires, ou employant des salariés.
L’exigence de la paralysie des organes sociaux est donc indispensable. C’est un garde-fou contre les demandes abusives de dissolution anticipée de société civile basées sur les intérêts propres d’un associé, – qui souhaite s’en retirer -, au détriment de l’intérêt social.
Cette jurisprudence conditionne ainsi l’arme redoutable de dissolution anticipée d’une société civile à la démonstration d’une paralysie avérée des organes sociaux ; paralysie qui ne peut simplement être établie par une perte de l’affectio societatis.
En l’état actuel de la jurisprudence, il est vivement recommandé d’inclure dans les statuts d’une SCI des clauses de sortie de crise, afin d’éviter de potentielles situations de blocage couteuses et chronophages.
Cette tribune a été rédigée par Maître Didier MAJEROWIEZ, avocat fiscaliste à Paris et éditeur du site Fiscaloo.fr.